L’actualité récente est très focalisée sur les infractions sexuelles (je précise que j’ai commencé à écrire cet article AVANT le confinement! ^^). On peut s’en réjouir car cela amorce, semble t’il, un changement des mentalités et surtout une prise de conscience de ce que vivent les victimes de violences sexuelles, tant en terme de difficultés pour porter plainte, pour être entendues ou encore au niveau de la procédure.
Pour rebondir sur une actualité récente, à savoir la condamnation de Harvey Weinstein à 23 ans de prison ferme pour un viol et une agression sexuelle, prononcée aux Etats-Unis, je vais aborder la problématique des infractions sexuelles en France. En effet, la justice française ne traite pas du tout les infractions, d’une manière générale, qu’aux USA, notamment sur le cumul des peines (possible outre-Atlantique alors qu’il est soumis à conditions ici).
Je vais donc essayer d’aborder ce thème sous un angle ludique (autant que faire se peut étant donné le sujet), pédagogique et accessible au plus grand nombre afin de permettre aux étudiants pénalistes de réviser les grands principes de la matière et aux néophytes de comprendre les grandes lignes. 🙂
Matérialité et terminologie des infractions sexuelles
En droit pénal, il existe plusieurs critères à remplir afin de caractériser une infraction.
– L’élément légal
– L’élément intentionnel
– L’élément matériel
Grosso modo, il faut un texte légal clair (la loi pénale est d’interprétation stricte, contrairement à la loi civile que le juge peut interpréter pour faire avancer le droit), que l’on appelle « l’élément légal ». Pas de texte, pas d’infraction. (C’est un peu notre « pas de bras, pas de chocolat à nous, les juristes)(Je précise qu’on m’a réclamé à corps et à cris des blagues pas drôles, je fais donc de mon mieux! :D)
Il faut également une intentionnalité s’agissant des délits et des crimes (et pour certaines contraventions comme les violences volontaires qui, par définition, sont intentionnelles…), que l’on appelle « l’élément intentionnel ».
Et enfin, dans la majorité des cas, il faut une matérialité des faits, c’est à dire que l’infraction doit être consommée.
Autrement dit, et pour schématiser : pour qualifier un meurtre, il nous faut un article réprimant spécifiquement le fait de donner la mort à autrui, la volonté spécifique de donner la mort (et pas juste avoir l’intention de le frapper et oups, il est mort…) à un autre être humain (et pas à un animal) et un cadavre (et pas quelqu’un qui a survécu à l’attaque, sinon c’est une tentative de meurtre).
S’agissant des infractions sexuelles, les textes se trouvent au livre II du Code Pénal (les atteintes aux personnes), dans la section III « Agressions sexuelles ». Autrement dit, l’élément légal est présent aux articles 222-22 et suivants du Code Pénal.
Je vais essayer de résumer un peu et de m’en tenir aux trois infractions principales: le viol, l’agression sexuelle autre que le viol et l’atteinte sexuelle.
Niveau terminologique, on est face à un texte assez peu diversifié… Le viol entre dans la catégorie des agressions sexuelles. Et une agression sexuelle sans pénétration s’appelle « agression sexuelle autre que le viol » (c’est bref et précis, c’est formidable). Il est également précisé qu’une agression sexuelle est « toute atteinte sexuelle commise avec violence… » Or, il existe une infraction d' »atteinte sexuelle » qui ne relève justement d’aucun des critères (violence, menace, contrainte ou surprise) spécifiquement écrite pour punir les agresseurs de mineurs de 15 ans « consentants ». Le vocabulaire est, comme on le voit, vraiment très pauvre. Il peut donc arriver que l’on qualifie à raison d’agression sexuelle des actes qui relèvent d’un viol (qui est une sous-catégorie des agressions sexuelles donc) et a contrario, tout ce qui n’est pas un viol est « une agression sexuelle autre que le viol ». Bref, je ne sais pas si ces précisions sont essentielles, mais pour ma part, ce manque sémantique m’a beaucoup perturbé durant mes révisions.
Par souci de simplification, je nommerai seulement « viol », « agression sexuelle » et « atteinte sexuelle » pour les infractions que je souhaite traiter ensuite.
L’article 222-23 définit le viol comme « Tout acte de pénétration sexuelle; de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise ». La jurisprudence vient ensuite préciser ce que sont ces quatre critères. Ainsi, pour caractériser un viol, il faut nécessairement une pénétration sexuelle. Cela peut être une fellation, une pénétration vaginale ou anale avec le sexe ou avec un objet. La pénétration peut être commise sur la victime (l’agresseur pénètre sa victime) ou sur la personne de l’auteur (l’agresseur oblige sa victime à le pénétrer. Dans ce cas, j’imagine qu’il ne peut pas s’agir d’un objet mais obligatoirement du sexe… Mais en lisant le texte, je suis face au doute…)
Pour que le viol soit qualifié il est nécessaire de caractériser une violence (physique ou morale), une contrainte, une menace ou un surprise. Ce n’est bien évidemment pas cumulatif.
Le viol n’est pas constitué par l’absence de consentement de la victime mais par la connaissance par l’auteur de cette absence de consentement. L’auteur d’un viol doit vouloir imposer une pénétration sexuelle à sa victime en ayant parfaitement conscience que celle-ci n’est pas d’accord. Sinon, il ne s’agit pas d’un viol. Toute la difficulté de la preuve réside dans cette intention.
Le viol est un crime puni de 15 ans de réclusion criminelle (la peine pouvant aller jusqu’à la perpétuité selon les circonstances aggravantes)
L’agression sexuelle, est, quant à elle, prévue à l’article 222-27 du Code Pénal. C’est à peu près la même chose que le viol mais sans pénétration. Il s’agit de toute « atteinte » sexuelle sans pénétration, imposée par violence, contrainte, surprise ou menace. En gros, toute atteinte sexuelle sans pénétration et sous contrainte est une « agression sexuelle autre que le viol ». Il s’agit d’un délit puni de 5 ans d’emprisonnement (pouvant aller jusqu’à dix ans selon les circonstances aggravantes)
L’atteinte sexuelle est prévue à l’article 227-25 du Code pénal. Il s’agit d’une atteinte sexuelle par un majeur, sans contrainte, menace, violence ou surprise, sur la personne d’un mineur de 15 ans (qui a moins de 15 ans donc). Il peut y avoir pénétration ou non, c’est indifférent.
Pour que l’infraction soit caractérisée, il faut donc que l’auteur fasse subir une atteinte sexuelle quelconque à sa victime, en ayant conscience que celle-ci est âgée de moins de 15 ans. Il ne doit pas y avoir de contrainte, menace, surprise ou violence, sinon il s’agira d’un viol ou d’une agression sexuelle. Il n’est donc nécessaire que de prouver l’âge de la victime et le fait que l’agresseur était au courant qu’elle avait moins de 15 ans. Cette atteinte est punie de 7 ans d’emprisonnement. La peine est de dix ans si cette atteinte est commise par un ascendant ou une personne ayant autorité.
Désolée, c’est un peu roboratif… C’est très difficile de traiter un tel sujet sans le survoler et sans non plus tomber dans le cours magistral…
Quel juge saisir ? Quelle est la place accordée à la victime ?
Les infractions pénales relèvent du droit pénal, c’est donc les juridictions pénales qui sont compétentes.
La victime va tout d’abord porter plainte. Le procureur (magistrat du parquet représentant le ministère public) va prendre connaissance de cette plainte et ouvrir une enquête qui aboutira soit à l’ouverture d’une instruction (obligatoire pour les crimes, facultative pour les délits), soit à la poursuite de l’auteur devant la juridiction compétente (tribunal correctionnel en l’occurrence), soit à un classement sans suite.
Dans tous les cas, la victime peut prendre part au procès pénal en se constituant partie civile (je n’évoque pas les conditions par souci de concision). Cela lui ouvre des droit en cas d’instruction ou de procès. Et cela lui permet d’obliger un juge d’instruction à se saisir de l’affaire en cas de classement sans suite par le procureur. Toutefois, le juge d’instruction peut prononcer un non-lieu s’il estime que les éléments à charge de sont pas suffisant pour poursuivre l’auteur.
La victime, dans le cas des infractions sexuelles, a une place très inconfortable. Elle accuse une personne de lui avoir fait subir des actes et doit le prouver. En effet, l’auteur, lui, bénéficie de la présomption d’innocence et peut se contenter de rester passif.
La victime doit non seulement prouver la matérialité de l’atteinte sexuelle mais aussi la connaissance par l’auteur de son absence de consentement.
Je précise que les poursuites sont possibles sans victime ou sans intervention de celle-ci. Les infractions sexuelles relevant du delictuel ou du criminel, un procureur peut se saisir lui-même de faits portés à sa connaissance.
A ce titre, même si une victime décide de retirer sa plainte pour une raison ou une autre, cela ne met pas fin à l’enquête ou à l’instruction. Seul le magistrat peut décider de l’opportunité des poursuites. Dans ce cas, il revient aux enquêteurs de prouver la matérialité et l’intentionnalité (ce qui est rendu assez compliqué si la victime ne s’implique pas…)
Qu’est-ce que la Cour criminelle?
La Cour criminelle est une juridiction intermédiaire créée par la réforme du 13 mai 2019, actuellement en période de test dans sept départements ( Ardennes, Calvados, Cher, Moselle, Réunion, Seine-Maritime, Yvelines). Elle se situe entre le Tribunal correctionnel (qui juge les délits) et la Cour d’Assises (qui juge les crimes).
La Cour criminelle permet de juger les crimes punis de 15 à 20 ans de réclusion criminelle. Elle ne concernera que les majeurs non récidivistes et les affaires jugées en premier ressort (l’appel est donc exclu du champ de compétence de cette cour).
La cour est composée de cinq magistrats professionnels. La grosse différence avec la Cour d’assises est qu’il n’y a pas de jury populaire.
Cette juridiction a été créée en grande partie pour éviter la correctionnalisation des viols.
Qu’est-ce que la correctionnalisation ?
La correctionnalisation est un procédé qui permet au juge d’instruction de requalifier un crime en délit afin de renvoyer l’affaire devant le Tribunal correctionnel en lieu et place de la Cour d’assises. Il est plus ou moins permis par l’article 469 du Code de procédure pénale et doit, en théorie, faire l’objet de l’accord de la victime.
Les arguments en faveur de ce procédé les plus fréquemment avancés sont la lenteur de la justice pénale, le traumatisme d’un procès aux assises pour la victime, l’insécurité judiciaire dû à la présence d’un jury populaire qui serait plus clément que des juges professionnels.
Que change la Loi Schiappa ?
Je ne peux pas lister tout ce que change la Loi Schiappa, mon article est déjà beaucoup trop long! ^^
Pour faire bref, il a été reproché à cette loi de correctionnaliser le viol sur mineur, notamment parce qu’elle a créé l’atteinte sexuelle évoquée plus haut. C’est discutable.
En réalité, cette loi ne créé pas cette infraction qui existait déjà… Elle la punit plus sévèrement (la peine passe de 5 ans à 7 ans)et précise un peu la portée du texte. En cas d’ambiguïté (ce qui arrive malheureusement souvent s’agissant des infractions sexuelles), l’auteur sera nécessairement puni du « seul » fait d’avoir eu une relation avec un mineur de 15 ans, même s’il pouvait ignorer son consentement. La seule chose qu’aura à prouver la partie poursuivante est qu’il était impossible pour l’auteur de méconnaître l’âge de la victime.
La Loi Schiappa a aussi apporté une précision s’agissant du viol. Avant le 3 août 2018 (date d’entrée en vigueur de la loi), le viol résultait obligatoirement d’une pénétration SUR la victime. Depuis l’entrée en vigueur du texte, la pénétration peut être imposée par l’auteur à sa victime sur sa propre personne. En d’autres termes, une femme peut désormais violer un homme en lui imposant une pénétration vaginal.
Elle apporte aussi des précisions s’agissant des délais de prescription et des circonstances aggravantes.
Cette loi étant plus sévère pour l’auteur de l’infraction (in pejus), elle ne peut en aucun cas être rétroactive et s’applique donc pour les infractions commises à compter de son entrée en vigueur. Cela créé quelques problématiques d’application de la loi dans le temps, au niveau des délais de prescription.
Le cumul des peines en France ?
e cumul des peines est possible en France mais soumis à conditions que l’on peut retrouver à l’article 132-3 du Code pénal.. C’est une partie assez technique du droit pénal que je ne maîtrise pas parfaitement encore…
Les peines pour des infractions de même nature n’est pas possible lors d’un même jugement. Ainsi, si un auteur comment 20 viols sur 20 personnes différentes, il n’y aura pas de cumul des peines prononcées par un seul juge. De la même façon, s’il commet un viol et une atteinte sexuelle, il ne risquera que le maximum encouru pour l’infraction la plus grave.
En revanche, s’il est poursuivi par deux tribunaux de deux ressorts différents (mettons le TC de Toulouse et le TC de Versailles, pour des faits agressions sexuelles autres que le viol), il recevra deux peines qui se cumuleront dans la limite du maximum encouru. En l’occurrence, il risque 5 ans. S’il est condamné à 3 ans à Toulouse et à 4 ans à Versailles, il n’effectuera, au maximum, que 5 ans (le maximum, peu importe qu’il était condamné à 7 ans en réalité). Il pourra, en outre, demander la confusion des peines si, le cumul des deux peines est inférieur ou égal au maximum encouru. Reprenons notre exemple, l’auteur est condamné à 2 ans à Toulouse et 1 an à Versailles. Il peut demander la confusion des peines (sous conditions) afin d’effectuer 2 ans et non les 3 auxquels il a été condamné.
Cet article prend fin ici. Il est beaucoup moins complet que ce que j’avais en tête mais également beaucoup plus long, je préfère donc m’arrêter là. Si vous avez des questions, n’hésitez pas à contacter votre avocat. 🙂